Philippe FORCIOLI

 

 

  Des ailes par pitié

 

 
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Mai 2014
 
 
Chanteur
 

C'est ma vie de chanteur

Trouver au bout des mots des coeurs
Et dans la nuit gisante 
Où l'avenir s'étiole
Faire jaillir de chacun des pleurs
Les souvenirs d'amours errantes
Les années folles
Le presque rien qui vous console
La patrie retrouvée du bonheur
 
C'est ma vie de chanteur
 
Je vais glanant les gens de peu
Tirant de l'ombre belle assoupie
Les fleurs repliées croupies
Des années passées rouges et bleues
Je tire des larmes sans vergogne
Sur les pentes de mes vers polis
Comme des galets de paradis
Où se retrouve son sang qui cogne
À travers le fleuve des oublis
 
Des chants les plus doux je n'ai pas peur
C'est ma vie de chanteur
 
Ma vie embrasse les corps meurtris
Par les paroles de la pluie
Les ruissellements des larmes d'ennui
Pour faire de cet instant ravi.
Je suis la voix qui répare l'esprit
Le couplet qu'on reprend sans heurt
 
C'est ma vie de chanteur
 
On touche à peine l'onde et les flots
On nage dans le revers des mots
La phrase qu'à la bouche on prie
Qu'on acclame le refrain qu'on crie
La rime pour laquelle on meurt
 
C'est ma vie de chanteur
 
Le monde dans le sable du chant
Fait la roue pour le printemps
On suspend le temps qui passe
Et on recoud sa vie qui lâche
À grands points de refrain tailleur
 
C'est ma vie de chanteur
 
Des yeux fermés sourdent les larmes
Qui coulent du fil de nos histoires
La poésie étoile noire
Est une vérité de flamme
Elle éclaire le fond de l'âme
Et nous dit juste le flanc des heures
Où nous dormirons en sonneur
Pour ne pas attiser le malheur
 
C'est ma vie de chanteur
 
Une fois la chanson accomplie
On retrouve le temps pétri
Le silence par-delà le fruit
La musique qui fait panoplie
En sourdine un écho trompeur
Qui continue répète le bruit
Dans le creux de nos bouches emplies
De l'infini des chants sauveurs
 
C'est ma vie de chanteur
 
Je chante pour ainsi dire le rien
Par lequel se fonde un chemin
Un instant de verte prairie
La guerre démise à l’infini
La terre promise son écrin
Les choses dont nous avons besoin
Sans devoir y mettre le prix
Leur fil ténu sans épaisseur
Et la mort en dédain du coeur
 
C'est ma vie de chanteur
 
Derrière la source jaillit ma voix
Les quelques bribes de ma foi
Le monde à venir que je crois
Et comment planter ma joie.
Je sème un sens aux mots jetés
Et partagés comme le blé
Je recommence toujours la voie
Sans espérer un but trouvé
 
Ainsi je compose en couleur
C'est ma vie de chanteur
 
Revel-Tourdan le 13 août 
 
http://www.marc-chopy.fr/

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Janvier 2014, poème de circonstance envoyé par Isabelle Verney
 
Meilleurs Voeux
 
 
Oh que chacun de nous retrouve
Au profond de sa nuit, la foudre
L'éclair mordoré d'une fée
La trace d'un chemin poudré .
 
Oh que chacun de nous se tienne
Debout à la proue des déveines
Du destin qui bat sous l 'manteau
Les cartes de son noir château !
 
Oh que coule l'empreinte douce
Le chant merveilleux de la source
Des enfants que l'on a bercé
Des bras qui nous ont bercé !
 
Qu'au creux d'une maison de buis
Habitée du violet de la nuit
On embarque dans les navires
De ses clairs chariots qui chavirent !
 
Qu'on chante si la vie soudain lève
Son couteau à déchirer les rêves
Qu'un éclat de rire de printemps
Repouss' l'étreint' de son tranchant !
 
Qu'on aie  toujours au fond de soi
L'ombre tranquille d'un grand toit
Et des murs bleuis d'hirondelles
Aux fenêtres fleuries de dentelles .
 
 

 

 

 

Longtemps que cette page n'a pas été enrichie... Voilà donc un beau poème pour cette année qui se termine... Jean-Claude 29 décembre 2013 

  

 

JE SAIS...
                                   
Je sais maintenant que je ne possède rien,
pas même ce bel or qui est feuilles pourries,
encore moins ces jours volant d'hier à demain
à grands coups d'ailes vers une heureuse patrie.
                                   
Elle fut avec eux, l'émigrante fanée,
la beauté faible, avec ses secrets décevants,
vêtue de brume. On l'aura sans doute emmenée
ailleurs, par ces forêts pluvieuses. Comme avant,
                                   
je me retrouve au seuil d'un hiver irréel
où chante le bouvreuil obstiné, seul appel
qui ne cesse pas, comme le lierre. Mais qui peut dire
                                   
quel est son sens? Je vois ma santé se réduire,
pareille à ce feu bref au-devant du brouillard
qu'un vent glacial avive, efface... Il se fait tard.
                                    
Philippe JACCOTTET
 

 

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Pas une ombre
sur la rocaille l’air brûlant défie la terre
pas un homme dehors
le village immobile
entre ciel et terre
entre soleil et poussière
à perte de vue le chemin
trace au-delà de la colline
l’ailleurs rêvé
un autre monde
une autre terre
pour une présence.
 
Mains jointes pour les prières
mains offertes en attente des jours de pluie
mais en écho puissant
l’éclatante lumière
ivresse du ciel
en équilibre sur la crête
le chemin rocailleux
et la terre desséchée brûlée
mais soudain l’ombre d’une colombe
sur la peau le feu du désert
dans la paume une olive pour l’espérance
 
                                                    Ghislaine Lejard ( Nantes) le 25 février 2011
 
                        Texte paru en 2010 dans la revue nantaise «  7 à dire » .
 
 

 

 

 

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En attendant 2011, voilà un classique qui me semble avoir toute sa place dans le site de Philippe...

Jean-Claude le 31 12 2010

 

 

Sensation

Par les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l'herbe menue,
Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.

Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l'amour infini me montera dans l'âme,
Et j'irais loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la nature, heureux comme avec une femme.

 

Arthur Rimbaud  

 

 

 

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Grève

Mardi 7 7 10

 

Bonjour. J’ai envie de vous parler de ma matinée, une fois n’est pas coutume.

Ce que j’ai fait ce matin, vous vous en moquez ! Tant pis j’y vais.

 

Par un réflexe imbécile, au tout petit jour (encore poivre et ciel…) j’appuie sur un bouton de radio pour imbécilement arroser l’heure naissante de quelques « nouvelles ». Mais flûte, une musique peu sympathique m’escagasse l’oreille, au lieu de la voix attendue d’un journaliste. Eh oui j’avais oublié : grève. Mais soudainement, en un éclair ma seconde de moue intérieure se dénoue – oh joie ! une idée me traverse l’esprit – .et me voilà fonçant sur le lecteur de disques : formidable ! je vais pouvoir écouter…Le mystère demeure, qui vient d’arriver à bon port, la veille, par temps de non-grève – quelle chance !

 

Eh bien je dois vous dire que tous les journalistes et chroniqueurs du monde peuvent aller se rhabiller ou chroniquer ailleurs, et au lieu de maugréer contre la grève (qui s’en fiche Royal’man), je l’ai saluée ! Des instants de pur bonheur elle m’a procuré, en boucle, car j’ai dû avec les cafés du jour avançant, recommencer l’opération « play » lorsque j’arrivais – déjà – à la dernière chanson de l’album.

 

Avec une joie grandissante, car – et c’est cela que je voudrais dire, vous faire partager ! – plus on écoute Le mystère, plus il s’infiltre, mieux il se fait comprendre et aimer. « Et la terre la lune »… et s’est parti ! Ces deux mots graves et doux lancent une série de chansons nouvelles ou déjà connues magnifique. Une orchestration si belle – que je l’aime, cet accordéon qui se profile un peu partout ! Vous dire la beauté de « L’exil » – l’exil est… vous verrez comme le texte est juste, évident, et évidente aussi la mélodie qui le sert ; vous dire l’allant et la joie de chanter à tue tête « Va va petit homme » quitte à faire apprendre la chanson aux voisins… Vous dire l’émotion d’une chanson qui touchera le cœur de chacun au plus profond, « Monsieur cancer »… La découverte des « Paroles célestes » – la chanson d’une autre plume poète mais qui était écrite, manifestement, pour l’album ! Je ne vous dis pas tout le reste, vous écouterez.

 

Beaucoup d’allant, dans ce nouveau disque, sur un thème inabordable. Inabordé. Beaucoup de joie à l’écouter, à l’apprivoiser, à l’aimer « par cœur », comme dirait mon fils.

 

Bon, voilà un jour de grève bien démarré.

Pour moi qui ai eu la chance de recevoir cet album cadeau.

 

Si vous le recevez demain, ce que j’espère pour vous… faites grève de radio !

 

Béatrice

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En écho au noir-vert du dernier édito, ce poème de Francis Jammes. (C'est à la dernière strophe... je le précise car le public de Philippe Forcioli est un public de feignant... personne n'écrit !).

Je mettrai
Je mettrai des jacinthes blanches à ma fenêtre, dans l’eau claire qui paraîtra bleue dans le verre. Je mettrai sur ta gorge blanche et luisante comme un caillou du ruisseau, des boules de houx. Je mettrai sur la pauvre tête du malheureux chien tout rogneux qui a des taches dans les yeux la plus douce de mes caresses, pour qu’il s’en aille grelottant un tout petit peu plus content. Je mettrai ma main dans la tienne, et tu me conduiras dans l’ombre où tournent les feuilles d’automne,
jusqu’au sable de la fontaine que la pluie si douce a troué, où se détrempe le vieux pré .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . .  .  .  .  .  .  .  .  . la pluie fine ma pensée douce comme la bruine. Je mettrai sur l’agneau qui bêle une branche de lierre amer qui est noir parce qu’il est vert. 
 
Guilhem G (le 31 mai 2010)

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Trois poètes parlent de Francis Jammes (envoyé par Guilhem le 21 décembre 2009)


... Marie Noël: (extrait des "Notes intimes" p.223,224) : 

Auxerre, 15 septembre 1938.

   "Francis Jammes, ce cher vieux poète ingénu et malin - auquel je n'ai jamais fait qu'un reproche, celui d'avoir tué quelquefois le Lièvre qu'il aimait - je l'admire entre tous de s'être refusé aux pompes et aux oeuvres et à toutes les inutilités factices de la vie littéraire; d'avoir tenu à distance les villes de vain bavardage, de s'être gardé du gaspillage d'âme et de plume et, à une époque où il est tant de groupements, de réunions, de chapelles, voire d'Académies pour faire perdre aux poètes leur temps et leur grâce, d'être demeuré bonnement chez lui, dans sa maison, dans sa paroisse, à vivre et à chanter sa vie, tout simple et uniquement fidèle à cette grâce de tous les jours que Dieu lui donnait.
   Et la Grâce l'a récompensé. Au lieu de faire du bruit sur la place, il est demeuré merveilleusement, dans la solitude, une inoubliable source délicieuse et sauvage dont une seule gorgée fait monter à nos lèvres la fraîcheur sacrée de la terre et la limpidité toute bleue du ciel."


... Joseph Delteil :                « Jammes en fleurs »

« En passant à Hasparren, je ne manquai pas d'aller voir Francis Jammes. Francis Jammes est le poète complet : barbe, livres et vie. C'est un bonhomme large et rond, les épaules corpulentes, le pied sain, le visage d'huile, en habit clair-obscur, le fusil au derrière et un lièvre dans le cour - et parfois dans la carnassière. Il est chasseur, papa et catholique. Il ausculte les jeunes filles et chevauche des chèvres blanches. Il fait l'amour comme les taureaux et embaume comme une violette. Sa bouche est une aurore, et sa salive, c'est de la rosée. Je l'aime pour les Angélus, pour l'aïeule des îles, pour les basquaises, pour le cresson, pour son chapeau, pour son âme. Il est fin et gros comme le Père Eternel. C'est le propre frère de Rimbaud. Il se nourrit de sainfoin et prête sa barbe à tous les bébés. Il commande aux laitues, aux césures, au Mercure de France. Il sourit durant trente heures. Il m'apporte des palombes, des pissenlits, des vers de terre. Il me tutoie, et je le nomme : Maître ! comme un enfant. Il est panthéiste et mondial. Son chapeau a la forme de la Terre et sa bedaine ressemble à l'Equateur. Il est là, à Hasparren, entre Bayonne et Pampelune, sur la route des Indes. C'est Pan au centre des fils du monde. Il réside à l'endroit exact où la marguerite des prés se confond avec les rayons de gamma du Sagittaire, au point d'intersection de la fourmi et de L'Océan
Pacifique, au carrefour de l'autruche et de l'intelligence. Un âne broute un arc-en-ciel.
   Et puis, c'est là l'homme qui un jour, sans crachats ni trompettes, mais tout riant, se dressa devant la mare des gens de lettres pareils à des grenouilles et à des feuilles mortes, et sans même prendre la peine de leur crier : merde ! s'en alla en gambadant, avec des pans de nez, loin des convenances et des journaux, vers la vie et vers l'herbe.
   Et puis, c'est là l'homme qui a écrit cette page, belle comme un accordéon entre les pattes d'une colombe :
   « Mais les plus délicieux abris étaient ceux qu'élurent les colombes. Elles se tenaient sur d'amers oliviers vacillants au crépuscule. Dans ce parc, il y avait des jeunes filles qu'à cause de leur grâce animale on avait laissées entrer, toutes les jeunes filles soupirantes et pareilles à des chèvrefeuilles, toutes les jeunes filles qui roucoulent avec toutes les colombes qui pleurent,
depuis les colombes de Venise qui éventèrent l'ennui des dogaresses, jusqu'aux colombes d'Ibérie qu'agaçaient du piment de leurs lèvres des pêcheuses au teint d'orange et de tabac; toutes les colombes rêvées, toutes les colombes qui rêvent : celle qu'élevait Béatrix, et à qui Dante donnait un grain de blé; et celle qu'entendait dans la nuit Quittéria désenchantée; et celle qui dut gémir au-dessus des épaules de Virginie lorsque, dans la source nocturne, à l'ombre du cocotier, elle essayait en vain de calmer ses brûlures aimables; et celle à qui l'adolescente qu'oppresse le déclin d'Été, dans le verger où les pêches se meurent, confie des messages passionnés afin qu'elle aille où la mène son vol. 
   Et il y avait les colombes des vieux presbytères ensevelis sous les roses : celles que, de sa main parfumée d'encens, nourrissait Jocelyn en songeant à Laurence. Et la colombe que l'on donne à la petite fille qui va mourir; et la colombe que l'on pose, en certains pays, sur le front brûlant des malades; et la colombe aveugle qui gémit si tristement qu'elle attire vers les chasseurs embusqués le vol de ses soeurs passagères; et la plus douce colombe, qui console dans sa mansarde le vieux poète abandonné. » ».          (extrait de Choléra p.162 à 164 - 1923).


... Philippe Forcioli :         Francis Jammes, poète bel et bon

Il demeure pour moi ce fabuleux barbu au coeur de jeune fille. Car pour avoir chanté « l'âne » (le mien, plus d'un millier de fois en trente ans de concerts et veillées), je l'ai toujours cité à propos de sa « prière pour aller en paradis avec les ânes » et en expliquant chaque fois qu'il ne s'agissait pas d'un poète anglophone mais bien quelqu'un de chez nous et donc : pas Francis
"Djèmsse "mais bien Francis Jammes, (rires dans le public) en appuyant bien sur « l'âme » de ce nom, car il est le poète de l'âme simple des enfants de Marie. Oh ! Comme c'est désuet, suranné et fleur bleue tout ça! On peut s'en moquer de
cette âme comme on moquera toujours les ânes; les ânes et lui en sourient doucement de sa barbe à leurs oreilles.
Le hasard de la vie fait que je vis présentement à 2 km d'un vieux manoir bien décrépi aujourd'hui, où lui et sa mère ont séjourné un été du siècle dernier (car sa maman était des Basses-Alpes) près de Sisteron. Passant un jour par la route qui jouxte cette bâtisse, je vis un âne dans un pré! Aussitôt m'est venu l'idée folle qu'il avait, qui sait, composé sa « prière » ici à deux pas de chez moi et cet espoir fut si fort à ce moment là, qu'il m'arrive de raconter à des amis cette anecdote comme de la vérité vraie, sans me rendre compte que j'extrapole peut-être un petit peu quand même, mais comme mes amis m'aiment, alors ils me croient. Ils me croient comme Francis Jammes croyait au Paradis « car il n'y a pas d'enfer au pays du Bon Dieu... »Et que demander au Bon Dieu sinon des pommes belles et bonnes et des poètes aux poèmes beaux et bons ?
Francis Jammes, poète du Bon Dieu, bel et bon. Alleluïa !
(à Salignac, décembre 2009)

 

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Bonjour Philippe, connais-tu ce texte de Maurice Bellet ? 
J'ai pensé à toi en le lisant et à ce que tu dis dans ton édito du 18 novembre à propos de la « joie parfaite ». Je viens de lire les derniers éditos. ils redonnent le sourire. Ouf !

« LA DIVINE DOUCEUR est paix, profonde paix, paix miséricordieuse, apaisement. C'est une main douce et maternelle, qui sait, qui conforte, qui répare sans heurt, qui remet dans la juste place. C'est un regard comme celui de la mère sur l'enfant naissant. C'est une oreille attentive et discrète, que rien n'effraie, qui ne juge pas, qui prend toujours le parti du bon chemin d'homme, où l'on pourra vivre même l'invivable. Elle est ferme comme la bonne terre sur qui tout repose. On peut s'appuyer sur elle, peser sans crainte. Elle est assez solide pour supporter la détresse, l'angoisse, l'agression, pour tout supporter : sans faiblir ni dévier. Elle est constante comme la parole du père qui ne plie pas. Ainsi est-elle le lieu sûr, où je cesse d'être à moi-même frayeur. C'est pourquoi c'est sottise de la croire faiblesse. Elle est la force même, la vraie, celle qui fait venir au monde et fait croître. L'autre, celle qui détruit et tue, n'est que l'orgie de la faiblesse. Mais la divine douceur est une douce fermeté, car pas un instant elle ne blesse le cour, elle ne meurtrit ce qui est au cour de l'homme, où il trouve vie. La divine douceur sauve tout, elle veut tout sauver. Elle ne désespère jamais de personne. Elle croit qu'il y a toujours un chemin. Elle est inlassablement inlassable à enfanter, soigner, nourrir, réjouir et conforter. La divine douceur est charnelle, elle est du corps. Elle ne se passe pas en idées et discours, en décisions, en états d'âme. Elle ne se soucie pas d'exhorter ou d'expliquer.
Elle est dans les mains, le regard, les lèvres, l'oreille attentive, le visage, le corps entier. Elle est dans les gestes du corps. Elle est l'âme aimante du corps agissant. Elle est la beauté aimante du corps humain. La divine douceur est sans preuve. Elle ne se donne pas par des arguments, des explications, des justifications. Elle paraît naïve et désarmée devant le soupçon; en fait, elle y est indifférente. Car elle se goûte. Pourquoi divine ? Parce qu'elle ne serait pas humaine ? C'est tout l'inverse: elle est divine d'être humaine, entièrement humaine en vérité. Elle est l'amour d'amitié. Elle est l'amour par-delà l'amour, parce qu'elle ne cherche ni preuve, ni satisfaction, ni possession, ni rien de semblable. Elle ne se donne pas par devoir, mais par goût. Elle ne sait même pas qu'elle se donne. Elle est d'un naturel exquis. Elle peut se faire service, et de mille façons. Mais elle est d'abord elle-même, ô douceur divine, et ce don-là précède tous les autres. Elle est présence, elle est hospitalité, elle est parole échangée. Elle est compassion. Elle est la discrétion même. Oh, qu'elle est désirable ! Elle est le sel de la vie. 0Le moment où on le sait, c'est celui de la douleur. »

L'épreuve. Ou le tout petit livre de la divine douceur, Desclée de Brouwer - Paris, 1988, pp.13-15.


J'ai reçu ton disque mardi dernier et je n'ai presque pas cessé de l'écouter depuis. Mes premières impressions : un disque grave, dense et exigeant (un peu à la manière d'un disque de Bertin que j'aime beaucoup qui est « La jeune fille blonde ») et à la beauté « rugueuse ». 
Je m'explique : « Marin des routes » était un très beau disque au sens « esthétique » du terme, très lisse (ce n'est pas péjoratif !) dans la mesure où l'auditeur était bercé dans des ambiances très proches, un peu feutrées. « Quand une chanson s'avance », c'est tout l'inverse ! Tu nous fais passer par des émotions très fortes et très contradictoires de violence, de douceur, d'espérance ou de néant. d'ailleurs tu le dis toi-même sur la pochette. 
Au final, un disque bouleversant comme était bouleversant « Derrière les fagots 3 ».

Les titres qui m'ont particulièrement marqué :
"Marseille" bien sûr, pour moi, c'est un peu Arbus puisque c'est là que tu me l'a faite découvrir dans ta voiture et après le vin blanc... ta confiance. Et une grande chanson qui n'a pour moi pour équivalent (au niveau de l'intensité de l'émotion) que Blanc Garlaban.
"Les amants de Chagall" chanson bleue. du rêve.
"Voyages sans fin" je me suis demandé au début de la chanson si tu te prenais pour Johnny mais j'ai écouté jusqu'au bout. une porte noire. la nuit. et tout s'éclaire. la guitare électrique aussi ! C'est bien le rôle d'un véritable artiste que de nous amener là où on ne serait pas aller tout seul, de nous faire entendre ce que nous n'aurions jamais entendu. Merci.
"Magazine" tu as écris « aux Jacques » moi j'ai pensé en l'écoutant à Jacques Bertin et, plus étonnamment, à Jacques Brel. En particulier à sa chanson « Orly ». j'aurais bien de la peine à expliquer pourquoi. Y as-tu pensé toi ?
"Air triste et connu" un poème magnifique et une musique qui le porte à merveille.
Ce n'est pas la première fois que je suis ébahi en écoutant tes disques par la beauté des arrangements. Il y a là une richesse, une qualité de timbre et un sens du détail qui à chaque fois me font penser à Ravel (à l' «introduction et allegro pour harpe » par exemple). Tu vas sans doute te dire que j'exagère mais je te promets que je l'ai pensé en écoutant « Marin des routes » et je le pense à nouveau avec ce disque-là. Persiste et signe.
"Chemin de terre" / "L'enfant, la mort, l'amour, la poésie" / "Amour Amour" : mon passage préféré du disque. Celui que j'attends avec une telle impatience qu'il m'arrive parfois de sauter certains des titres précédents. Du sens mais sans lourdeur, de la profondeur en simplicité et pour porter cela à hauteur d'émotion une petite mélodie toute simple dont Brassens et toi seul
avaient le secret. Le mélange parfait. dis ! Tu ne veux pas me donner la formule ?
"Ode pour veiller jusqu'au jour" là, je découvre un peu Henri Pichette que je veux découvrir depuis quelques temps. Je parlais d'un disque exigeant au début eh bien là on y est en plein dans l'exigence. J'ai rarement lu un poème avec si peu d'artifice, de facilités et les sonorités qui en ressortent sont d'une richesse incroyable. Très très beau !
Ne vas pas penser que je n'aime pas les chansons dont je n'ai pas parlé car elles me plaisent aussi mais cela ne fait qu'une semaine que j'ai le disque alors je me surtout attaché à celles qui m'ont sauté aux oreilles en premier.
Quant à "A la première des chansons" eh bien ça c'est la mienne (c'est toi qui l'as écrit) alors je l'aime bien sûr et j'attends les royalties. je vais enfin devenir riche !
Que dire de plus et sérieusement ? L'arrangement me plait et la fin de la chanson (fredons et sifflets) est très exaltante. En somme, si ce n'est pas la plus grande chanson du disque ça en est un peu le rayon de soleil. le plus franc en tout cas. Puis c'est l'amitié et ça je ne t'en remercierai jamais assez.
A bientôt
Guilhem (le 26 novembre 2007)

 

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Quelques images en haiku de ce merveilleux voyage de trois jours en Delteilherie. 

A Magali, Jean-Paul, Philippe, Geneviève et tous ceux et celles qui ont œuvré à nous ré-enchanter…

 

Apéritif
Dans un feu d’aiguilles de pins
trois planches de moules

*

Fontaine
Des mains de femme
dans l’eau qui chante

*

Le vent tombe
Les voix aussi
quand quelqu’un lit

*

Repas sous le ciel ~
Le bonheur tangible de
ceux qui servent

*

Château du Villar
Un repas
Où tout est poème

*

Dans le panier de la libraire
Une moisson de livres
A croquer

*

Libraire volante ~
Dans la cour du chateau
en robe blanche

*

Chanteur Italien ~
Sa chanson de l’étoile
sous les étoiles

Sentier à la Dame~
A l’ombre des chênes verts
je pressens déjà le ruisseau

*
Sa main détache
de l’écorce d’un chêne vert
un brin de lierre

*

« Il y en a … »
De la joie déjà
parmi les marcheurs

*

Chênes blancs
Un peu l’automne
sous nos souliers

*

Près de la cascade
Pleine de son fruit
la petite vierge de bois

*

Il déclame « Jeanne »
J’écrase un moustique
sur mon pied

*

Panier d’osier
Dedans le pain, le vin
Et les livres

*

Légère brise
Reflets de l’eau et de l’arbre
sur sa chemise

Assis sur le mur branlant
J’écoute la boudègue
en plein vent

*

Elle marche
une libellule
sur sa casquette

*

Boudègue à l’épaule
Il lit « Jésus 2 »
En patois

*

Le chant d’une enfant
Heureux dans sa tombe
Bobby Lapointe

*

Veillée aux étoiles
Son baiser
à la femme triste

*

Un grand ciel bleu
Mon vieil ami
sur son petit nuage

*

De l’écrivain
Manger, boire et partager
le moindre mot

 

Philippe Quinta le 6 août 2007 Grabels

 

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Je suis au monde

Je suis au monde telle une brute apatride
Telle une barbare bâillonnée
Telle une enfant sauvage en camisole de force
Je ne suis pas tissée de fils de soie
Pas même de laine écrue
Je suis tissée du poil rêche des bêtes
 
Je n’ai pas donné ma mesure
Que déjà mes caresses leur sont brûlure
Mes mots leur font injure
Mon regard est scandale
Et mes cheveux c’est de la bataille
 
Mes joies sont celles des idiots
Mes colères démesurent ma voix
Mes élans tombent dans leur plat
Mes émotions débordent mon visage
Mes sentiments,
Mes sentiments leur sont un vent d’ouragan
 
Je sais pas économiser
Je m’amuse sans gagner
Je suis l’instable
L’insupportable, la vagabonde
La malapprise
Je ne sais même pas à qui je parle
 
Mais je sais qui m’écoute
Je sais qui m’entend
Les ignorants, les déconcertés
Truffes au flair éperdu
Et le vent à pleine bouche
Pétales de genêt mouillés
Ardentes  oreilles toutes chiffonnées
 
Vers là j’ouvre les bras
Sans qu’ils m’en tombent
Je vais pieds nus
Je vais pataude à la Vie nue
 
 
Monique G avril 2003/ juin 2006

 

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Une soirée, un 12 mai à Lyon…
 
Elle restera gravée dans ma mémoire. J’avais organisé un concert de Philippe dans la petite salle Léo Ferré remplie d’une presque centaine de personnes. Beaucoup d'émotion, du rire, des larmes… des chansons, des textes dits, l’accent chantant, la douceur de la voix, la caresse de la guitare, les mains qui rythment les mots, une poésie qui enchante…
Mais ce soir là… j’avais aussi la chance de vivre d’autres moments forts… Philippe avait en effet accepté que je fasse une première partie avec le petit récital que j’ai monté autour de l’univers de Jacques Bertin. Nous nous sommes donc croisés et recroisés dans la petite loge que nous partagions à trois avec Cédric Perret, le jeune pianiste qui m’accompagne et qui en dehors de la chanson, joue dans des groupes de métal symphonique, de salsa…
Philippe, a été vraiment chouette.
Une fois enfermés dans la loge alors que le public s’installait et que Jérôme, le responsable de la salle disait quelques mots de présentation, il a su se faire rassurant, tranquillisant en voyant la tension grimper… Et puis il a fallu y aller… nous sommes entrés sur scène avec Cédric…
Ca s’est plutôt bien passé…
A la fin , quand nous sommes revenus dans la loge avec Cédric, Philippe nous a accueilli les bras grands ouverts et m’a dit « eh bien mon s… , t’as choisi les plus belles ». On a éclaté de rire, soulagés… quel bonheur de rire franchement, libérés, joyeux de ce qui venait de se passer, excités de ce qui allait encore arriver… 
Un peu plus tard, pendant son récital il dira encore quelques mots, un brin espiègle, pour me remercier d’écrire de si belles chansons… puis de souligner que ce n’était pas si fréquent  d’entendre quelqu’un chanter un poète encore vivant…
Tout s’est vraiment bien passé pour lui… tous ceux qui étaient là, étaient aux anges !
Quel talent !
Encore plus tard, quand nous n’étions plus qu’une dizaine à partager le repas, Philippe a repris la guitare et nous a encore offert quelques perles. Des chansons de Brassens, de Beau Dommage et même une chanson de Bertin …
Des moments rares et fraternels qui résonnent encore…
 
Jean Claude (69) le 20 octobre 2006
 

 

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à Jérôme THOMAS
 
LE JONGLEUR
 
Dans le creux d’une main, un fruit,.. une pomme.
Puis une hanche branche, un bras, puis deux
Le pommier se fait homme.
La sève sang bouillonne, envahit le poignet
Et la paume s’étire jusqu’au bout des phalanges
Une envie d’azur la démange
Elle lance une orange.
Et soudain, deux fruits se mélangent. Orange en haut et pomme en bas
Terre….Ciel, Quel combat
La pomme fait à l’orange un pied de nez
Et vole, s’envole plus haut que l’oranger
Puis retombe à nouveau, écorce contre peau
Se frôlent à se toucher
Et la gravitation reste a réinventer !
 
Le pommier s’est fait homme et ses feuilles poumons
Respirent à plein vent entre glaise et planètes.
Et du temps a passé
Une boule de lune a fait muter les fruits
En deux balles pareilles que tu tiens aujourd’hui.
 
Jongleur de pomme d’amour et d’orange azurée
Je suis semblable à toi pour faire danser les mots
D’amertume, de rage- d’amour !  D’enfance ou de naufrage
Des mots lancés, poussés par de petits ballons pour les faire éclater
De toutes petites billes de salive, postillons
Cochers de poste, tendez vos parapluies, prenez garde à l’orage.
 
Chevaux de trait, de galop, mes mots, je vous les lancerai
Quelle que soit la facture, quelle que soit la fracture
En pleine face, en pleine figure.
 
Arme tes mains, envoie tes balles
J’arme ma bouche, lance mes phrases
Toujours, toujours, j’aimerai que ça touche
Nos mains, nos voix sont des cartouches
A faire rêver, à faire danser, à faire penser
Pansons nos plaies avant l’automne
Nous ne vieillirons jamais, Never.
Francis Brunn envoie ses massues par-dessus les gratte-ciels de New-York.
 
L’hiver ne viendra jamais !
Demain, nos actes seront plus riches, plus beaux
Pour lancer nos fils et nos filles vers le ciel
Demain, tes balles seront plus blanches et ton geste plus vif
Demain, tes balles iront plus haut, plus haut,
Si haut qu’elles ne retomberont que dans 10 000 ans
Mes mots, alors éclateront dans un chaudron d’argent
Tes balles rebondiront doucement dans un chaudron d’or.
Puis
Tes balles, mes mots se fondront dans un nouveau…SOLEIL…..
 
                                                                                         Le 21 janvier 2006 Yves de Follin

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L’incertitude
 
Un matin de ciel clair et d'oliviers sauvages
se réveiller dans la transparence et la paix
Des pensées traversières planent dans les vents ascendants
et le bonheur garde un silence de courlis à l'aurore
 
Le temps passe à peine  sur la pointe des pieds
sa trace est le message écrit serré et fin
que laisse une fourmi très petite sur le sable lisse
et le soleil est bien trop occupé pour épeler le texte
 
Mon amour à la voix de pays natal
est-ce qu'on t'a appris ce matin la nouvelle?
L'absence est abrogée  la tristesse renvoyée
Le bruit court que la mort elle-même est remise en question
 
Est-ce vrai? Est-ce possible? On raconte tant de choses
et on avait fini par prendre l'habitude du mal
L'automne presque est déjà là  Tout sera comme avant
le vieux chagrin   le vieil espoir   l'ancienne nuit
 
une nuit qui parfois reste nuit pour toujours
 
Poème de Claude ROY proposé par Jean Claude (69) le 26 décembre 2005

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Monsieur Durand
 
Monsieur Durand ressemble à Monsieur Dupont. C'est un homme comme beaucoup d'autres hommes, il a fondé une famille, il travaille, il a une voiture et une maison, ses cheveux sont gris, et on ne se retourne pas sur son passage quand il promène son chien, le dimanche. Le personnage que je vous décris existe partout, on a d'ailleurs peine à croire qu'il existe vraiment. Cet homme a peut-être un vice caché, une originalité connue par un petit nombre d'amis, ou un passé trouble. Mais sa normalité est tellement massive que s'il était un arbre, on le passerait en bois de chauffage
 
Ces gens qui sont des arbres, David Dumortier
 
Elise et Dom (974)

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Une belle soirée de juillet 2005.
 
Un invité poétique de dernière minute.... et quelques instants plus tard cette étrange impression d'entendre un incroyable silence, tellement mis en valeur par la voix douce et tendre qui chante et qui dit, par les notes complices d'une guitare discrète, par les mains qui se frottent, se percutent et se tendent vers nous...
 
Une belle communion en poésie sous le ciel étoilé de Barjac en ce 27 juillet 2005. Merci Philippe Forcioli. 
 
J'étais témoin avec 700 autres personnes...
 
Jean Claude (69)

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Des ailes par milliers !

Je ne sais comment vous passez vos vacances et vous espère… heureux, dépaysés, marchant, humant, chantant un air nouveau…
 
Pour ma part je respire la grisaille et le manque d’air parisiens, pour tout l’été, mais il m’arrive un événement extraordinaire qui rend, certainement, cet été parisien parmi mes plus beaux étés.
 
Voilà : depuis près de trois semaines un couple de pigeons ramier a élu domicile sur un bac de géraniums (le seul qui n’ait pas succombé à la canicule forte, courte et inattendue du mois dernier). Je me demandais, vraiment, ce que faisait ce volatile perché au 5ème étage quand soudain ! émerveillement ! j’aperçus un petit œuf très blanc : c’était une maman qui couvait…
 
S’ensuivit alors un dilemme assez facilement résolu : les géraniums… ou le petit pigeon. Le choix fut rapidement fait. (je profitai pourtant de certains moments pour donner un peu à boire aux géraniums plantés aux extrémités du bac –un bac d’environ 60 cm de long).
 
Plus tard je réalisai deux choses :
> c’étaient des jumeaux, qui se préparaient, car j’aperçus assez vite un deuxième œuf blanc qui me mit en joie –je baptisai aussitôt les jumeaux Jules et Jim – ;
> la maman pigeon n’était pas forcément la mère, puisque je réalisai le ballet des deux parents (fidèles pour la vie) qui se relayaient sans relâche pour couver les petits. Une famille moderne quoi… Une famille qui a lu Freud et sait combien la présence du père est importante à ce stade…
 
Bon, trêve de rigolade, je n’ai pas toujours ri à vrai dire.
 
D’abord il m’arrivais de trembler. Parfois, en effet, mes parents ramier laissaient le nid sans surveillance aux moments où ils se relayaient (ce qu’ils ne firent plus jamais à l’approche de la naissance : ils se croisaient sur les géraniums « jaunes » de fatigue…, en un ballet étonnant et gracieux, ne laissant pas une seconde leurs œufs solitaires). Un jour, alors que l’un des deux parents prenait quelques minutes de bon temps sur une cheminée, en face (peut-être aussi lui avais-je fait peur et attendait-il ou elle un peu de calme avant d’oser regagner son domicile étonnant) j’aperçus, sur une cheminée au-dessus de celle qu’occupait mon cher locataire… un énorme corbeau ! Panique : comment prévenir mon pigeon qu’au-dessus de lui, un énorme danger menaçait ?! Je vis soudain le noir corbeau s’élancer et mon cœur stoppa net : en effet mon champ de vision est devenu très limité, car je ferme les stores de la fenêtre habitée, pour garantir tranquillité et intimité à ma petite famille couveuse… et je ne pus voir où allait ce corbeau redoutable pour Jules et Jim encoquillés… Mais Dieu merci, entrouvrant l’un des stores je fus vite rassurée : mes deux petits œufs reposaient calmement au nid. Un nid très sommaires : trois petites brindilles mêlées aux tiges de géraniums privées de vie.
 
Autre énorme inquiétude : ayant su que le temps de gestation était de 18 jours (je lus même sur internet entre 15 et 17 jours), plus les jours passaient, plus j’étais inquiète. Une amie portugaise, Isabel, qui éleva, petite fille, tout une tripotée de pigeonneaux ramier… me mit en garde : attention Béa ! peut-être les œufs sont-il clairs ! –oh je détestais cette expression. L’idée que les œufs puissent être vides de vie, que la mère puisse couver et attendre ses petits pour rien… me brisait le cœur....
 
Et voici que ce matin, ce dimanche 24 juillet, après deux jours il est vrai très agités, car mes petits parents, n’arrêtaient pas, l’un et l’autre, de remuer dans tous les sens (étaient-ils inquiets de ne pas voir la coquille s’animer ? c’est ce que je redoutais !), au moment précisément où je me lève et abandonne mon clavier d’ordinateur pour aller sortir un pain du four, poussée parla bonne odeur et l’envie de croquer la croûte brûlante et craquante, je constate immédiatement un  changement et constate qu’un petit morceau de duvet inhabituel est apparu. En un instant, Jules était né. Je jubilais ! J’exultais ! Ainsi tout c’était bien passé !
Impossible de m’approcher trop : je préfère laisser la mère en paix, à contempler et nourrir son petit. Aussi je ne le connais pas encore très bien, le petit Jules. Ses minuscules ailes me font craquer, et je constate que son bec est immense ! proportionnellement à sa tête. On m’a dit : tu verras, c’est affreux un petit pigeon. Autant les canards sont mignons autant eux sont vilains… Non, je ne suis pas d’accord. Pour moi Jules est si important qu’il est le plus beau des nouveaux-nés, en ce jour qui doit en compter beaucoup, des petits oisillons parisiens ! Mais voilà, Jules, il est né « à la maison ». On est devenu amis, avec ses parents. Drôle d’idée, me direz-vous, d’être allés nicher si haut, sans ascenseur ! En fait c’était assez malin : pas de chats, pas de méchants prédateurs à quatre pattes sur ce Paris perché. – pas de vilains hommes non plus, enfin pas trop méchants, de l’autre côté de la vitre. La seule chose vraiment méchante, ça a été l’aspirateur, que j’ai stupidement passé, un jour, au tout début, et qui a paniqué la mère –ou le père-. Autant à cause de la violence du geste que du bruit je pense, car je me suis aperçue que les pigeons sont très sensibles au bruit. Je leur parle régulièrement, pour leur expliquer que je suis leur amie. Et puis hier, alors que l’un d’eux roucoulait, je me suis amusée à répondre, à ma manière, et il était très surpris !
Voilà. Jim est encore au chaud. Dans son œuf. Je l’attends de pied ferme. Je crois que je serai encore plus émue quand il arrivera, lui aussi.
 
Vissée à mon ordinateur pour cause de travail, tout l’été, j’ai un œil plongé sur ce spectacle permanent – j’ai ouvert quelques centimètres de store pour ne rien perdre de l’épopée de mes amis voyageurs -. Aussi mon été, sans voyage, sans mouvement, sans soleil (le ciel est plutôt gris, après cette vague de canicule un peu folle) est-il nourri d’aventure, de découverte et d’émotion. Comment aurais-je pu imaginer que ces mois studieux seraient habités par quatre pigeons ramier et mille questions : où les parents s’envolent-ils, pour chercher leur nourriture ? que pourrais-je donner à ces parents, puis, plus tard, à leurs petits ? Combien de temps vont-ils habiter ici ? Vont-ils préparer d’autres petits ?
 
Trouverai-je le temps de réfléchir et mener à bien mon travail d’étudiante, avec toutes ces préoccupations, tous ces soucis ?! toutes ces joies ailées… Ben oui, ça me donne des ailes !
 
Béatrice (Paris)
Dimanche 24 juillette
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Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent
 
Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent ; ce sont
Ceux dont un dessein ferme emplit l'âme et le front.
Ceux qui d'un haut destin gravissent l'âpre cime.
Ceux qui marchent pensifs, épris d'un but sublime.
Ayant devant les yeux sans cesse, nuit et jour,
Ou quelque saint labeur ou quelque grand amour.
C'est le prophète saint prosterné devant l'arche,
C'est le travailleur, pâtre, ouvrier, patriarche.
Ceux dont le coeur est bon, ceux dont les jours sont pleins.
Ceux-là vivent, Seigneur ! les autres, je les plains.
Car de son vague ennui le néant les enivre,
Car le plus lourd fardeau, c'est d'exister sans vivre.
Inutiles, épars, ils traînent ici-bas
Le sombre accablement d'être en ne pensant pas.
Ils s'appellent vulgus, plebs, la tourbe, la foule.
Ils sont ce qui murmure, applaudit, siffle, coule,
Bat des mains, foule aux pieds, bâille, dit oui, dit non,
N'a jamais de figure et n'a jamais de nom ;
Troupeau qui va, revient, juge, absout, délibère,
Détruit, prêt à Marat comme prêt à Tibère,
Foule triste, joyeuse, habits dorés, bras nus,
Pêle-mêle, et poussée aux gouffres inconnus.
Ils sont les passants froids sans but, sans noeud, sans âge ;
Le bas du genre humain qui s'écroule en nuage ;
Ceux qu'on ne connaît pas, ceux qu'on ne compte pas,
Ceux qui perdent les mots, les volontés, les pas.
L'ombre obscure autour d'eux se prolonge et recule ;
Ils n'ont du plein midi qu'un lointain crépuscule,
Car, jetant au hasard les cris, les voix, le bruit,
Ils errent près du bord sinistre de la nuit.

Quoi ! ne point aimer ! suivre une morne carrière
Sans un songe en avant, sans un deuil en arrière,
Quoi ! marcher devant soi sans savoir où l'on va,
Rire de Jupiter sans croire à Jéhova,
Regarder sans respect l'astre, la fleur, la femme,
Toujours vouloir le corps, ne jamais chercher l'âme,
Pour de vains résultats faire de vains efforts,
N'attendre rien d'en haut ! ciel ! oublier les morts !
Oh non, je ne suis point de ceux-là ! grands, prospères,
Fiers, puissants, ou cachés dans d'immondes repaires,
Je les fuis, et je crains leurs sentiers détestés ;
Et j'aimerais mieux être, ô fourmis des cités,
Tourbe, foule, hommes faux, coeurs morts, races déchues,
Un arbre dans les bois qu'une âme en vos cohues !
 
Victor Hugo (1802-1885)
dans « Les Châtiments »
 
 

Texte proposé par Catherine (31) le 01 mars 2005 

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Faim de siècle
 
Quand le dieu fait silence et que le jour s’éteint,
Les larmes de la nuit éclairent leurs chemins.
De la chaleur humaine ils ont connu le froid,
De tous les cimetières ils ont porté les croix.
Ils ne sont qu’un milliard à tendre cette main,
Pour dire à la planète qu’ils ont seulement faim.
Un milliard seulement c’est bien là notre chance,
De pouvoir cultiver nos rêves d’opulences.
Un si petit milliard caché dans le tires monde,
Très difficile à voir de nos terres fécondes.
D’ailleurs pourquoi les voir et que pouvons nous faire,
Et puis bien réfléchi est-ce là notre affaire
Parce qu’ils sont nés pour vivre aux portes de la mort,
Aux vagues de leur vie et la misère est le port.
Ils ont ouvert les yeux sur notre indifférence,
Puis les ont refermé pour cacher leur souffrance.
Homme de cette terre lorsque viendra la fin,
Tu reverras là-haut tous ces gens morts de faim.
Ces hommes, ces enfants, ces femmes et ces vieillards,
Mais c’est vrai rappelle toi ils n’étaient qu’un milliard.
 
   Serge Armengol - Auvers s/Oise 1999.
Texte proposé par Maryse (34) le 19  01 05
 

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Je t'attendais ainsi qu'on attend les navires
Dans les années de sécheresse quand le blé
Ne monte pas plus haut qu'une oreille dans l'herbe
Qui écoute apeurée la grande voix du temps
 
Je t'attendais et tous les quais toutes les routes
Ont retenti du pas brûlant qui s'en allait
Vers toi que je portais déjà sur mes épaules
Comme une douce pluie qui ne sèche jamais
 
Tu ne remuais encor que par quelques paupières
Quelques pattes d'oiseaux dans les vitres gelées
Je ne voyais en toi que cette solitude
Qui posait ses deux mains de feuille sur mon cou
 
Et pourtant c'était toi dans le clair de ma vie
Ce grand tapage matinal qui m'éveillait
Tous mes oiseaux tous mes vaisseaux tous mes pays
Ces astres ces millions d'astres qui se levaient
 
Ah que tu parlais bien quand toutes les fenêtres
Pétillaient dans le soir ainsi qu'un vin nouveau
Quand les portes s'ouvraient sur des villes légères
Où nous allions tous deux enlacés par les rues
 
Tu venais de si loin derrière ton visage
Que je ne savais plus à chaque battement 
Si mon coeur durerait jusqu'au temps de toi même
Où tu serais en moi plus forte que mon sang.

                                                                  René Guy Cadou - Poèmes d'amour à Hélène

 

Texte proposé par Jean-Claude (69) le 10 novembre 2004

 

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LES AUTRES ETES
 
Il y aura d'autres étés
D'autres grillons feront leurs gammes
Dans d'autres blés
 
On croisera sur la route d'autres dames
 
Un autre merle inventera
Une chanson presque la même
 
Un autre monsieur se trouvera là
Sous cet arbre où je t'aime
 
Une petite fille qui n'est pas encore née
Fera une poupée en coquelicot
A cet endroit précis où ton corps
Endormi  se mêle au long bruit de l'eau
 
On dira (mais ce seront d'autres)
Il faudrait bien un bon coup de pluie
Ça ferait du bien aux récoltes
 
Les mots feront le même bruit
mais plus personne plus personne
ne se servira de mon cœur à moi
ni de ta voix à toi qui résonne
dans mon oreille et mon corps à moi
 
Claude Roy 

 

Texte proposé par Jean-Claude (69) le 24 juin 2004

 

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Chers amis,

De retour d’Assise, je tenais à vous transmettre ci-dessous ce décalogue d’Assise écrit à l’occasion de la rencontre des responsables des grandes religions le 22 janvier 2002 (après leur première rencontre le 27 octobre 1986).

En toute Amitiés,

Pierre

Décalogue d'Assise pour la paix

1. Nous nous engageons à proclamer notre ferme conviction que la violence et le terrorisme s'opposent au véritable esprit religieux et, en condamnant tout recours à la violence et à la guerre au nom de Dieu ou de la religion, nous nous engageons à faire tout ce qui est possible pour éradiquer les causes du terrorisme.

2. Nous nous engageons à éduquer les personnes au respect et à l'estime mutuels, afin que l'on puisse parvenir à une coexistence pacifique et solidaire entre les membres d'ethnies, de cultures et de religions différentes.

3. Nous nous engageons à promouvoir la culture du dialogue, afin que se développent la compréhension et la confiance réciproques entre les individus et entre les peuples, car telles sont les conditions d'une paix authentique.

4. Nous nous engageons à défendre le droit de toute personne humaine à mener une existence digne, conforme à son identité culturelle, et à fonder librement une famille qui lui soit propre.

5. Nous nous engageons à dialoguer avec sincérité et patience, ne considérant pas ce qui nous sépare comme un mur insurmontable, mais, au contraire, reconnaissant que la confrontation avec la diversité des autres peut devenir une occasion de plus grande compréhension réciproque.

6. Nous nous engageons à nous pardonner mutuellement les erreurs et les préjudices du passé et du présent, et à nous soutenir dans l'effort commun pour vaincre l'égoïsme et l'abus, la haine et la violence, et pour apprendre du passé que la paix sans la justice n'est pas une paix véritable.

7. Nous nous engageons à être du côté de ceux qui souffrent de la misère et de l'abandon, nous faisant la voix des sans voix et oeuvrant concrètement pour surmonter de telles situations, convaincus que personne ne peut être heureux seul.

8. Nous nous engageons à faire nôtre le cri de ceux qui ne se résignent pas à la violence et au mal et nous désirons contribuer de toutes nos forces à donner à l'humanité de notre temps une réelle espérance de justice et de paix.

9. Nous nous engageons à encourager toute initiative qui promeut l'amitié entre les peuples, convaincus que, s'il manque une entente solide entre les peuples, le progrès technologique expose le monde à des risques croissants de destruction et de mort.

10. Nous nous engageons à demander aux responsables des nations de faire tous les efforts possibles pour que, aux niveaux national et international, soit édifié et consolidé un monde de solidarité et de paix fondé sur la justice

Le 24 janvier 2002

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Excusez-moi d’arriver un peu tard
j’ai un peu traîné sur la route
je n’ai pas su choisir
parmi les fleurs et les feuillages
j’en ai trop cueilli
j’en ai perdu beaucoup.
Excusez-moi d’apporter
des choses trop simples
déjà dites à quelques choses près.
je n’aime pas jouer avec les mots
les cogner pour faire jaillir des étincelles
j’aime les empiler
pour faire de petits barrages
dans le torrent des heures
pour retenir la terre aussi.
Tâchez de trouver
un peu de silence en vous-mêmes
ma voix est grave et sourde
et je me suis un peu essoufflé à vous rejoindre.
  
René Cazajous – « Cette peur que de ma vie » - Multiples 1991  

Texte proposé par Maryse (34) le 29 mars 2004

 

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POÈME DU 22 DÉCEMBRE 1992*

grâce à l'aide informatique de ses parents, un jeune autiste nous communique son appréhension de Noël
 
parce que je suis content je veux écrire un poème de Noël
encore une fois c'est noël
une fête dans une harmonie sans férule
une fête dans une aura délicieuse
les joies confuses de sa solennité
immense sa douceur
immense ses mets
des sons de musique chaotique dans la nuit
je t'aime fête-chaotique
notre fête imposée de la joie mimant la sérénité
je t'aime toi notre belle fête de rêve sans pareil
rêve d'amour et de l'affabilité
j'aime le parfum du sapin
les lumières
et le rire enfantin des enfants
j'aime ma famille puérile
qui fait tout son possible pour mettre en scène une fête d'illusion
amour infini
et des dépenses folles pour un rêve de noël
sans folie la tradition mourra un jour
en moi cette folie aura des graines-de-colère
et continuera à vivre
à noël je sens les êtres si proches de moi
de la pure folie sans pareille dans des têtes raisonnables
à noël je vous aime tout particulièrement
car à ce moment vous devenez au moins aussi dingues que moi
 
extrait de "une âme prisonnière", Birger Sellin, Robert Laffont ed. 1994
 
* en fait, il n'y a pas de titre indiqué, j'ai juste repris la date d'écriture, le livre étant présenté comme un journal

 

Texte proposé par Denis (69) le 25 mars 2004

 

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Je ne sais comment commencer, si ce n’est en affirmant que tous ceux qui ont pu assister à ce spectacle, Romancero Gitano, sont… pourris-gâtés. En tout cas moi : il y a longtemps(*) que je n’avais exulté de cette façon, exulté, littéralement, l’œil, le cœur et l’esprit captivés, éblouis, touchés, profondément.
 
(*) Longtemps, longtemps… façon d’parler ! Le Limonaire n’est pas très lointain ms’ieu Forcioli !
 
Touchés ?
 
Par la puissance qui émane du chant gitan, de voix souvent gutturales qui savent dire la souffrance mais aussi la force de ce peuple en marge, force de vie, force de sentiment ; ces voix qui crient la vie, qui crient la mort…
 
Par la féminité extrême des femmes qui ont dansé et chanté : féminité toujours fascinante pour une femme et qui a réveillé, pour moi, ce fait incroyable : la féminité est « sans limite », comme une quête sans fin : aucune femme ne peut se sentir absolument féminine -de par notre nature multiple et nos multiples facettes, et toute femme, par conséquent, est fascinée par la féminité qui la dépasse, lorsqu’elle a ces occasions furtives de la rencontrer. Il y avait une telle beauté, dans ces deux femmes présentes sur scène –une comédienne et une chanteuse-, très différentes, l’une, Maria Luna, magnifique, grande et fière, aux traits superbes, féline par sa voix rauque -…une voix qui vient non pas contredire sa féminité, mais curieusement la renforcer- ; et l’autre, Sabrina Romero, plus jeune, éblouissante de grâce lors de sa danse et chantant… avec une douceur pour moi bouleversante. Le sommet du spectacle, pour moi : Pena negra, une romance unissant ces deux femmes en un duo qui incarne tout ce que la femme peut être « d’extraordinaire ». Une émotion de sensibilité, de beauté et de sensualité qui chatouille le cœur…Mon Dieu ! que c’était beau…
 
Par la fraternité, car le « soliste » gitan n’est jamais seul, mais nourri, accompagné, soutenu du rythme de chacun de ses « frères » : sans ce rythme venu des autres, il n’est rien. Comme un chant « fraternel ». Preuve que le cœur de chaque homme bat au rythme du cœur de l’homme ; un même rythme, un même grand mouvement ’battant partagé.
 
Par le son mélangé du si beau violoncelle, inédit et apportant une douceur inattendue à ce chant, mélangé à l’accordéon, aux percussions et à une guitare discrète –comme une pulsation secrète. Douceur, pas de violence instrumentale mais une intensité des voix et des corps fascinante.
 
Par la danse « éperdue » des deux jeunes, la femme, l’homme, une danse « sans fin » : lorsqu’elle paraît être à son apogée, que le corps n’en peut plus de tension émotionnelle et qu’il s’apprête à la faire exploser dans un claquement de mains sonore, non ! elle continue, cette danse, l’intensité monte, monte encore et on sait alors qu’elle ne s’arrêtera plus, que le corps de la danseuse, du danseur mêlé à sa voix, vont vous emporter là où vous ne saviez même pas pouvoir aller. Et lorsque tout à coup vous vous trouvez submergé d’un vacarme de battements de mains, vous ne les sentez même plus vos mains - comme gelées, vous ne les sentez plus tant elles brûlent, elles agissent à votre insu : à tout rompre !-, ni votre émotion, qui est allée très loin, très haut. Et la foule hurle sa joie, comme en pleine corrida, dans un délire de danger vaincu, dépassé.
 
Par le dépouillement des décors, qui laissent aux mots toute leur force de révolte, au chant une entière liberté, une puissance de « quintessence ». Les tableaux se succèdent dans leur grande sobriété, alors que le cœur et l’esprit s’agrandissent, à chaque tableau, d’une intensité subtile,  immanquable.
 
Par l’immense beauté poétique du texte de Garcia Lorca qui éclaire la danse, qui illumine les chants, par les mots qui se boivent : « Cuando llegaba la noche / noche que noche nochera »…
 
Par cet homme mort à 38 ans tombé sous les balles de soldats franquistes, en 1936 par qui survit et qu’on chérit, par son œuvre morte avec lui -ses livres furent brûlés sur la place publique de Grenade-, qui survit et qu’on lit ; par son « cri de révolte contre la barbarie subie par les gitans andalous », qui est « aussi et surtout, dit Vicente Pradal, un pamphlet contre toutes les barbaries, touts les pogroms ».
 
Béatrice (75) le 8 mars 2004.
 

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Romancero Gitano
 
Poèmes de Federico Garcia Lorca – 1924-1927
Mise en scène et musique de Vicente Pradal
 
12 Romances
 
dont…
 
Romance de la lune, lune
« La lune vint à la forge avec sa jupe de nards 
l’enfant la regarde, regarde, l’enfant la regarde encore. »
 
Précieuse et le vent
« Précieuse arrive en frappant sa lune de parchemin.  
En la voyant, s’est levé le vent qui ne dort jamais. »
 
La Rixe
« Juan Antonio de Montilla roule mort dans le ravin
son corps constellé d’iris d’une grenade à la tempe. »
 
Romance somnambule
« Compère, je veux troquer mon cheval pour ta maison
mon harnais pour ton miroir
mon couteau pour ta couverture. »
« Si je le pouvais, jeune homme, l’affaire serait déjà faite
mais je ne suis plus le même, ma maison n’est plus la mienne. »
« Compère, où es-tu, dis-moi, où est donc ta fille amère ? »
« Elle t’a attendu si longtemps, frais visage et cheveux noirs,
à la verte balustrade. »
« Vert, c’est vert que je te veux.
Vert le vent, vert le ramage. Le bateau est sur la mer,
le cheval dans la montagne. »
 
La nonne gitane
« Comme elle brode bien ! Avec quelle grâce !
Sur la toile jaune paille elle préfèrerait broder des fleurs à sa fantaisie… »
 
Romance de l’épouse infidèle
« Je l’ai amenée près du fleuve croyant qu’elle était jeune fille,
mais elle avait un mari. »
 
Romance de la peine noire
« Les coqs, à grands coups de becs creusent pour chercher l’aurore,
quand de la montagne obscure descend Soleda Montoya. »
 
 
Proposé le 08 mars 2004 par Béatrice (75)
 
 

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La mort n’est rien
Pour un musicien
 
Elle est une croche
Qui se décroche du sol
S’envole et résonne
Telles les cloches qui s’en vont à Rome
 
Juste un « canard »
Avant le départ
En éternelle fanfare
 
La mort n’est rien
Pour un musicien
 
Croque-notes et croque-mort
Tombent d’accord
Musique d’abord
 
Mais cas de force majeure
Notre douleur en ce jour
Se joue en mineur
 
La mort n’est rien
Pour un musicien
 
C’est juste poser son trombone
Pour en raconter une bien bonne
En essayant l’auréole
 
Une petite fugue vers l’infini
Point d’orgue
D’une vie mélodie
 
La mort n’est rien
Pour un musicien
 
C’est un refrain
Au-delà du chagrin
Il nous dit à demain
Au Café d’En-Haut avec les copains
 
Une dernière impro
Avant la reprise à la coda
Avec le Grand Orchestre Céleste
Où le Bon Dieu donne le la
D’une immense fiesta
 
La mort n’est rien
Pour un musicien

 

Texte de Dominique Scheder (chanteur suisse) proposé par Philippe le 07-03-04

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Pour avoir aimé fort l'ivresse, le grand essor,
la poussée du dedans, la pression du dehors
Pour avoir aimé fort, et pour aimer encore
et avoir entrepris cette course au trésor
 
Et pour avoir souffert mon comptant de labeur
tout en désapprenant les sentiers de la peur
les endoctrinements et dogmes embobineurs
Oui, pour avoir souffert, et pour souffrir encore
 
Je te salue, l'ami, sur ton chemin d'épines
De loin je te souris, bienveillante voisine
Garde ton pas vaillant, et que la vie peaufine
ton chant de poésie et ta quête divine
 
Pour avoir ressenti cet appel du grand large
avoir écrit son nom tout en haut dans la marge
me faisant vagabond, sans attache et sans port
Pour l'avoir ressenti et le sentir encore
 
Pour avoir exposé mon coeur à bout portant
vibrant et frissonnant, et d'amour tout tremblant
et battant la chamade, et bravant le gros temps
Pour en avoir bavé mais persisté pourtant
 
Je te salue, l'ami, sur ton chemin de rêves
car nous nous nourrissons d'une commune sève
Et puisque ce flux-là, non, jamais ne s'achève
il te confortera comme un espoir se lève
 
Pour avoir retroussé mes manches et mes babines
en labeur quotidien, volonté, discipline
Pour avoir combattu l'amer et la routine
contre vents et marées et sans courber l'échine
 
Et pour avoir chanté de l'amour et des roses
par-delà les chemins et les villes moroses
pour que le courant passe et que la fleur éclose
Et pour avoir goûté de la métamorphose
 
Je te salue, l'ami, sur ton chemin d'espoir
Comme une main tendue, un étrange savoir
La lutte est sans merci ; toute chose a son prix
et puis... le dernier mot... il n'est pas encore dit !
 
 

Myriam 21-11-2003 

(Texte proposé par Myriam le 25 février 2004)

 

 

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LA JOIE

 un état d'âme … mis en vers par le poète belge Max Elskamp 

Joie que l'on prend parfois en soi,
Dans l'instant en une heure amie,
Et sans que l'on sache pourquoi
Elle est venue, et vous sourit,
 
Si douce elle est, qu'on croit qu'on aime,
Et si claire que l'on voit Dieu,
Et que l'on se mire en soi-même,
Pour mieux savoir qu'on est heureux.
 
Paix qu'on prend, rare en sa somme,
Qui lors chante en l'âme éperdue,
Et qui vous conduit loin des hommes
Au monde, tel un enfant nu,
 
Comme si l'on n'avait vécu,
Ou qu'on était l'agneau sans tache,
Qui paît son pré, sans vouloir plus,
Que l'herbe tendre, verte et drue.
 
 
Si loin alors tout le savoir,
Tout ce qui leurre et ce qui attache,
Et que les yeux sont las de voir
Et qu'en son cœur on tait ou cache
 
Âme de tout qui* se délie
Et monte si haut, prenant ailes,
Qu'on ne sait plus si c'est au ciel
Ou bien au monde qu'on a vie,
 
Soleil alors en toutes choses,
Même en ce que l'on a haï,
Tout qui* s'endort et qui repose
Dans une paix douce infinie,
 
Il fait si clair qu'on croit qu'on aime
On est si haut, qu'on le bénit,
Le monde en bas, où c'est quand même
Qu'on les eût les jours de sa vie.
 
 
*tout qui : quiconque, en wallon  
 

Texte proposé par Denis (69). Le 24 février 2004.

 

 

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DE MA VIE

De ma vie je n'ai jamais vu
Plus beau visage que sa voix
Ses yeux portent l'âme des eaux
Blessées à mort depuis des siècles

Par le silence des grands bois
Son front descend de la lumière
Comme l'Egypte du mystère
Et sa bouche a juste le poids
Le poids terrible du bonheur
Que pouvait supporter mon coeur.

S'il avait fait glisser sa voix
Dans les yeux graves de mes paumes
Nous aurions vu ce vieux royaume
Que l'amour épèle tout bas.

C'est ici qu'il faut parler d'elle
La maison des oiseaux parfaits
La merveille où toutes les ailes
Peuvent s'ouvrir sur leur secret.

J'entends sonner la cloche rouge
De ce rouge extraordinaire
Dont l'ombre saigne sur la terre
La cloche à marier les dieux
Le fruit qu'on mange avec les yeux.

Il n'y a pas d'amour heureux.

De ma vie je n'ai jamais vu
Plus beau visage que sa voix
Plus beau visage mis à nu
Par le silence de mes doigts.

Angèle Vannier dans "L'Arbre à feu "

Angèle Vannier, morte en 1980 a été atteinte de cécité à l'age de 22 ans...

Texte proposé par Jean Claude (69) le 16 février 2004